Des histoires de pierre. De pierre taillée, de pierre creusée. Une balade sur les quais de Saône à la rencontre d'un mystérieux Homme de Pierre caché dans sa grotte et de la "pierre scize", le tout nimbé de légendes.
Si, à pied comme en rollers, en vélo ou en poussette, tout le monde a investi les quais du Rhône mis à neuf, on parle peu des quais de Saône, de leur luminosité dorée et du charme bucolique de leurs façades aux tons ocres. Triste constat quand on sait qu'il suffit au passant de longer la rive droite du fleuve immobile pour tomber nez à nez avec le rocher de Pierre-Scize, massive œuvre du Romain Agrippa qui a vu défiler l'histoire et quelques fameux personnages. Un rocher au pied duquel on croise, entourée de sa verte pelouse, la statue de l'Homme de la Roche, venu se lover dans une petite grotte humide. <> Autour de cette statue que l'on appelait "l'Homme de la Roche" ou "le bon Allemand règne un certain mystère. Lequel n'a pas empêché le personnage der susciter au fil des siècles une réelle ferveur populaire, sans que personne ne soit vraiment sûr de son identité. C'était un grand homme à n'en pas douter, un bienfaiteur. C'est au milieu du XIXe siècle que le conseil municipal tranche et identifie l'Homme de la Roche comme Jean Kleberger. Nous sommes au XVIe siècle. Jeune employé dans une banque allemande qui échange avec la Suisse, l'Italie et la France, Jean Kleberger va de ville en ville, là où le commerce le mène. Il se met à spéculer à titre personnel et amasse une petite fortune. A tel point qu'il se met à prêter de l'argent à François Ier et devient son banquier quasi-officiel. On lui attribue par la suite quelques grands fait d'armes, mais la perte de son épouse Felicitas semble le pousser à la fuite. Il se réfugie alors à Lyon. L'Allemand - naturalisé - est généreux, multiplie dons et aumônes. Tandis que la disette de 1531 ravage la ville, il offre à la ville une belle somme en inscrivant sur le registre "un marchand allemand, cinq cents livres". La signature ne reste pas anonyme longtemps, on surnomme alors Kleberger "le bon Allemand". Il est élu conseiller de la ville en 1545, chose extrêmement rare pour un étranger. Prêtant aux rois, donnant aux pauvres, il meurt en 1546 mais ne sombre pas dans l'oubli. Immédiatement, des statues de bois érigées à la roche de Bourgneuf (actuel quai Pierre-Scize) rappellent sa bonté. Plusieurs statues de bois auxquelles succède en 1849 une statue en pierre de Cruas que l'on doit au sculpteur Pierre-Toussaint Bonnaire. Mais c'est seulement au moment de la placer dans la grotte qu'elle occupe actuellement qu'on identifiera "le bon Allemand" comme étant Jean Kleberger. <> Ceci dit, ce n'est pas de ce logis que l'Homme de la Roche tient son nom. Ainsi, Le Progrès Illustré du 27 janvier 1901 rappelle : "Le rocher de Bourgneuf s’avançait dans la Saône et des morceaux de roc obstruaient la navigation qui, à cette époque, était agrémentée de charmantes batelières. On fit sauter cette roche grâce à l’initiative de Jean Cléberg [autre nom de Kleberger] qui, depuis, s’appela l’Homme de la Roche, et c’est pourquoi on lui a réservé une grotte dans le rocher pour y dresser sa statue." Représenté un sac d'écus à la main, Kleberger est connu comme le sauveur des jfilles à marier. Au XVIe siècle, on disait qu'il mariait les jeunes pauvresses à ses frais. Il a aujourd'hui la réputation auprès des Lyonnaises de favoriser les unions tandis que certains Lyonnais farceurs auraient également pris l'habitude d'envoyer à l'Homme de la Roche leurs créanciers : "Va te faire payer à l'Homme de la Roche !" <> Un autre homme a déplacé les montagnes, ou du moins s'est attaqué à la roche, Agrippa. Aux débuts de l'Empire romain, le général Agrippa est un proche d'Octave, devenu Auguste en même temps qu'empereur. Il est tout à la fois son ami, son fils adoptif et son gendre. Outre ses talents militaires, Agrippa est un grand urbaniste et bâtisseur. En conséquence, Auguste l'envoie en Gaule afin qu'il trace quatre voies menant au Rhin, à la Manche, à l'Aquitaine et à la Narbonnaise. Néanmoins, un gros rocher s'avançant dans la Saône entrave le chemin des légionnaires romains, les empêchant d'ouvrir une voie qui longerait la rivière. Qu'importe, on arrive à bout du rocher trouble-fête, le lieu gagnant dans l'opération son nom de petra incisa puis de pierre scize, c'est-à-dire "pierre coupée". Plus tard, vers l'an mille, le rocher de Pierre-Scize a vu se construire à son sommet une forteresse faisant lieu de prison et de résidence, le château de Pierre-Scize. La prison devint prison d'État et accueillit dans ses geôles quelques détenus célèbres, à l'image du Duc de Nemours qui est arrivé à s'échapper déguisé en domestique un pot de chambre à la main. Ou le marquis de Sade qui, il est vrai, a connu beaucoup de prisons. Les jacobins lyonnais détruiront leur Bastille locale en 1793, laissant les Quais de Saône et leurs hôtels particuliers à la merci de la modernité. Elle prendra l'apparence de nombreuses discothèques, seules capables de prendre le relais du soleil une fois celui-ci couché.
Crédits photo : DRInfos pratiques
L'HOMME DE LA ROCHE Sur le quai de la Pierre Scize, Lyon 5
Laisser un commentaire